31 mai 2007

Dans le rétroviseur

Y'a eu cette petite fille, âgée de 5 ans, qui refusait intérieurement de laisser le nid familial pour commencer l'école. Une petite fille qui était timide, qui se tenait un peu à l'écart, en regardant aller les autres. Elle observait pas par effronterie, juste par fascination. Elle préfèrait observer l'interaction plutôt que d'y participer. La maternelle, ça ne l'a pas amusée autant que sa mère lui avait promis. Mais elle s'est plié au jeu. Sans jamais vraiment s'amuser à s'amuser... Une enfant de table, voilà ce qu'elle était. Elle aimait cent fois mieux s'attabler avec des adultes et les écouter parler. Elle avait hâte de devenir grande...


Y'a eu cette fillette de 10 ans, qui commençait à prendre un peu plus sa place. Qui bossait solide sa petite soeur de 3 ans sa cadette. Elle avait son cercle d'amis, elle pouvait s'éloigner de plus en plus dans le quartier, sur sa bicyclette. La liberté, l'autonomie. Le sentiment de devenir une grande personne, même si encore beaucoup d'interdits régnaient. Et elle avait pris goût à l'école, la petite. Les vacances d'été l'ennuyaient presque... après un mois de congé, elle anticipait déjà sa prochaine rentrée scolaire. La fébrilité était à son comble lorsqu'elle partait, avec sa mère, pour aller acheter les fournitures scolaires. Les cahiers d'exercices qu'elle feuilletait plusieurs jours avant la rentrée, juste pour s'assurer que l'année ne serait pas "trop difficile".


Y'a eu cette adolescente de 15 ans, qui vivait à fond de train. Avec un réseau d'amis à la limite du "gérable". Elle avait pris de l'assurance et de l'aplomb. Et elle avait de la gueule. Elle aimait s'obstiner. Surtout quand elle était persuadée d'avoir raison. Elle tenait son bout, ne cédait jamais la victoire... au grand dam de son père. Il lui répètait souvent qu'elle serait une excellente avocate... Ahhh... les grandes espérances parentales! Entre les partys, l'école et le p'tit boulot à temps partiel, elle prenait à peine le temps de respirer. Mais elle avait toujours l'anticipation au fond d'elle... Elle anticipait les partys, les examens, le choix de carrière qui arriverait bientôt...


Y'a eu cette jeune adulte de 20 ans, qui effectuait un retour à l'école, après une première tentative désastreuse 3 ans plus tôt. Elle terminait une année sabatique fort profitable. Cette simili-pause lui avait été des plus bénéfique. Elle était avec un gars depuis 4 ans, mais la relation commençait à tanguer sérieusement... Trop lâche pour faire le "move", trop confortable en ce terrain connu. Malgré les opportunités qui se sont pointées... Malgré l'envie d'aller voir ailleurs si elle y était. C'est à 20 ans qu'elle comprit le sens réel du mot "regret"...


Y'a eu cette adulte de 25 ans, qui avait maintenant l'emploi tant rêvé. Et qui partageait sa vie avec un gars depuis un an. C'est la journée de ses 25 ans qu'elle a décidé de baisser sa garde complètement, de retirer son pied de la porte pour pouvoir mieux se défiler. Elle avait maintenant une certitude plantée en son coeur et ne pouvait pas la nier. La vie était douce pour elle. Et elle devenait un adulte pour vrai, avec des obligations et même un REER... Elle avait décidé d'arrêter de tenir tête à tout et se laissait lentement coulée dans le moule des "standards sociaux". Après tout, qu'elle se disait, il faut bien devenir une grande personne un moment donné...


Et y'a aujourd'hui cette femme de 30 ans, dont le bonheur de personne ne dépend d'elle. Elle mène sa barque seule depuis 3 ans, satisfaite de ses choix l'ayant menée ici. Elle a autant de plaisir à observer les gens, un peu en retrait, parce qu'elle est toujours fascinée par la nature humaine. Elle a maintenant trouvé sa véritable place, celle où elle ne fait aucun compromis au nom de quoi que se soit. L'impulsivité a fait place à la réflexion. L'obstineuse a laissé le terrain à la convaincue. La grande gueule est toujours là, mais dorénavant plus posée. L'anticipation a été remplacée par "carpe diem".


Parce que la seule chose qu'elle a vraiment apprise depuis 30 ans, c'est qu'on ne sait jamais où la vie nous mènera. Et ça, peu importe le plan quinquenal en béton qu'on aura dressé!

09 mai 2007

Apprendre à la dure

Début mai 1987. Pour mon dixième anniversaire qui sera dans quelques semaines, mes parents ont décidé de me donner mon cadeau tout de suite. Un beau vélo de montagne rouge. C'était la nouvelle mode, les vélos de montagne. Je souhaitais tellement en avoir un cet été-là, histoire de pas faire bande à part avec mes amis...

Ça faisait à peine quelques jours que je roulais avec mon nouveau vélo que je me suis mise en tête d'aller à l'école en vélo. Plusieurs de mes amis le faisaient, moi aussi je voulais le faire. J'ai alors commencé ma campagne de charme (ou de harcèlement, selon le point de vue!) auprès de mes parents. Mon père a été catégorique au départ : c'est non! Il faut comprendre que pour me rendre à l'école, j'avais une grande côte à monter et je devais rouler sur un boulevard très passant... surtout en poids lourds. Il m'aura fallu 3 semaines de "quémandange" pour avoir finalement la permission de me rendre à l'école avec mon super nouveau vélo. Avec promesse de monter la côte sur le trottoir et de rouler aussi sur le trottoir, une fois sur le boulevard. J'étais tellement contente que j'aurais pu faire le trajet en pédalant avec mes mains si mon père me l'avait demandé!

Monte à l'école le matin... numéro 1. Redescend dîner chez-moi le midi... numéro 1. Remonte à l'école après le dîner... parfait. Redescend à la maison en fin d'après-midi... pas sur le trottoir. Dans le chemin. À l'heure de pointe (ben oui, y'a une heure de pointe à La Tuque!). Avec des voitures qui me dépassent, passant à même pas un mètre de moi, parfois. Je vois une copine de classe de l'autre côté de la rue, en train de cueillir des marguerites et je la salue, toute fière sur ma bicyclette. Arrivée à la moitié de la pente, j'arrête de focuser sur les voitures et je me concentre sur mon vélo. Et je réalise à quel point j'ai pris de la vitesse... Et je freine... et je freine... et je sens aucun ralentissement! Je jette un coup d'oeil à ma roue avant, quelques secondes, et je la vois qui "tangue" sous la force de roulement. Bang!

Je suis couchée sur le dos, sur le bord de la rue, avec des visages inconnus penchés au-dessus de moi. J'ai de la difficulté à reprendre mes sens. Une dame me parle mais je n'arrive pas à saisir ce qu'elle me dit... Je tente de m'asseoir de peine et de misère. Et là, je vois mon vélo... l'air un peu désarticulé, la roue avant crochie. Et là, toute ma rationnalité embarque... Mon vélo tout neuf... mon père qui m'avait donné la permission du bout des lèvres la veille... ma promesse que tout irait bien... j'étais pour passer un sale quart d'heure. J'ai voulu me relever pour me rendre chez-moi... je n'étais qu'à quelques minutes de marche de la maison. Et en me relevant, mes genoux m'ont lâché. Je revois encore ma copine cueilleuse de marguerites descendre la côte en criant mon prénom, le bouquet à la main... c'est fou les détails que notre cerveau peut enregistrer dans des moments comme ceux-là...

C'est un copain de classe, qui passait par-là avec sa mère, qui m'a raccompagné à la maison. Dans la voiture, j'ai vu que mon chandail était couvert de sang. J'ai vu mes genoux plus qu'éraflés. J'ai senti mes coudes brûler. En arrivant à la maison, j'ai deviné que j'étais vraiment maganée quand j'ai vu l'expression de ma mère et de ma soeur en me voyant. Un coup d'oeil au miroir pour constater l'ampleur des dégâts et surtout, pour comprendre d'où venait tout ce sang qui maculait mon chandail. Mon menton. Fendu. Tellement fendu que j'ai ouvert la plaie de mes doigts et j'y ai aperçu l'os mon menton... autre défaillance!

Destination hôpital. Où mon père est venu nous rejoindre. Il est entré dans la salle d'examen alors qu'on s'apprêtait à me faire des points sur le menton. Mon père déteste les hôpitaux autant que moi... quand il a vu l'attirail de couture, il a dit à ma mère "j'vais fumer une cigarette"! Dans ma tête d'enfant, j'étais convaincue qu'il était ressorti aussitôt trop en furie après moi... Après plusieurs heures à l'hôpital (nettoyage et bandage des plaies, radiographies, tests de motricité et évaluation de mon "traumatisme"), on est rentré à la maison.

Et j'ai "affronté" mon père. J'attendais toujours la chicane, le sermon... Tout ce que mon père m'a dit c'est : "Un jour, Sonia, tu vas comprendre que quand on te refuses quelque chose, c'est pas pour être contre toi, c'est pour te protéger qu'on fait ça..." That's it! Mon père m'a dit, des années plus tard, qu'il s'était longtemps senti coupable de mon accident, parce qu'il n'avait pas su tenir son bout, qu'il avait préféré "acheter la paix"...

Le lendemain matin, juste avant que mon père quitte pour sa journée de travail, le téléphone a sonné. C'était le médecin qui m'avait reçu, la veille, à l'urgence. Il avait jetté un coup d'oeil à mes radios (parce que ça le fatiguait de pas avoir déceler de fracture...) et il avait dénoté une fracture à ma mâchoire. Côté droit. On était attendu à Trois-Rivières pour une opération d'immobilisation. À 14 heures. Le temps d'organiser tout ça, j'étais admise à Ste-Marie pour me faire opérer le lendemain matin. On me brocherait la mâchoire à l'aide de broche et d'élastique, je ne pourrais pas ouvrir la bouche pour 4 semaines et je devrais m'alimenter de liquide uniquement... Dans ma tête d'enfant de 9 ans, elle était là ma punition... Pas de gâteau de fête pour moi, 4 jours plus tard, jour de mon anniversaire!

Mon année scolaire s'est terminée là. Parce qu'après l'opération, je n'arrivais pas à dormir la nuit. Et que s'alimenter au liquide, ça équivalait à "ventre affamé n'a pas d'oreilles". Mes camarades de classe m'ont fabriqué des cartes de prompt rétablissement. J'étais traitée aux p'tits oignons par mon entourage. Mes plaies cicatrisaient lentement et je pouvais espérer ne pas garder de cicatrices trop apparentes sur mon visage.

La récupération a été totale. L'avantage de la jeunesse. Et à partir ce jour-là, j'ai toujours écouté les conseils et les recommandations de mon père. Je n'ai jamais tenté de défier une interdiction élevée par lui. Jamais. Parce que, 20 ans plus tard, je suis restée persuadée que j'avais pas un karma assez bonnasse pour pousser ma luck une deuxième fois!

04 mai 2007

Bunker

- "Qu'est-ce que tu fais ce soir?

- Je me mets à l'abri...

- À l'abri de quoi?

- Des papillons...

- ...

- ..."